La lettre des décideurs économiques et financiers des hôpitaux

ÉDITORIAL - ÉVÈNEMENT

Qu’est-ce qu’un hôpital à l’heure de la digitalisation?

 

Jacqueline HUBERT

Directeur d'hôpital

Consultante stratégique en santé

Les déficits des hôpitaux s'accumulent et les résultats se dégradent : 1,2 Md€ en 2024, 2,4 Md€ annoncés en 2025 et ensuite 4,8 Md€... ? La situation ne paraît pas tenable, et tout ceci dans un État au bord de la banqueroute et une assurance maladie qui va peut-être commencer à avoir des difficultés à lever des emprunts pour financer ses propres déficits.

Si la situation semble sombre, c'est parce que le système de santé actuel, devenu obsolète, perdure, à savoir : un hôpital et une médecine de ville qui se parlent peu, des hôpitaux nombreux dotés de plateaux techniques plus ou moins performants, une pénurie de médecins et de personnels soignants, ou encore des malades qui arrivent massivement aux urgences faute d'une prise en charge en ville suffisante.

L'heure est sans doute venue de changer totalement de paradigme pour conserver la médecine et les soins de qualité qui sont une attente majeure de la population et une de nos richesses nationales.

Si on s'inspire de ce qui se fait à l'étranger, on se rend compte que la transformation du système de santé est déjà faite via le numérique, que ce soit aux États unis, dans les pays nordiques, en Israël , pays souvent cités, mais c'est aussi le cas tout près de nous, en Espagne, où l'organisation très performante d'un système de santé, en pleine mutation digitale, empêche la formation de déserts médicaux.

C'est aussi une recommandation de l'OMS qui promeut des modèles numériques pour améliorer la qualité des soins dans les pays aux systèmes de santé peu développés.

Alors, en quoi consiste cette transformation numérique ?

Elle passe tout d'abord par l'utilisation de la donnée médicale sous un format interopérable, ou si ce n'est pas possible, en utilisant des solutions d'interopérabilité de façon à ce que les données puissent être accessibles en ville et à l'hôpital, qu'il soit public ou privé. C'est seulement à ce prix que se mettront en place les parcours patients ville/hôpital après lesquels le système essaie, à ce jour, vainement de courir.

Mais elle repose aussi sur l'utilisation de plateformes pour suivre les patients, certes en intrahospitalier (comme aux États-Unis), mais surtout à domicile, de façon à favoriser les sorties précoces d'hospitalisation. Ces plateformes sécurisées sont gérées par des médecins et des paramédicaux hospitaliers qui suivent les paramètres des patients, en particulier les paramètres vitaux, et traitent les alertes en fonction de guidelines pré-établis : rehospitalisation, venue en consultation... Ces sorties précoces peuvent aussi se faire en lien avec des services d'hospitalisation à domicile qui, grâce aux plateformes, optimisent leurs activités.

Pour le patient ou ses aidants c'est un retour à domicile sécurisé souvent souhaité qui permet, toutes les études le prouvent, une meilleure récupération, ceci, grâce à l'utilisation d'appareils connectés : patchs qui enregistrent certains paramètres, balances connectées, appareils de glycémie...

Mais alors, qu'est-ce qu'un hôpital dans ce nouveau contexte ?

L'hôpital que l'on pourrait qualifier de digital, pour ne pas reprendre la terminologie d'hôpital numérique qui ne recouvrait pas cette même réalité, devient essentiellement un plateau technique performant : un bloc opératoire optimisé qui aura digitalisé son organisation : parcours patient, arsenal, plannings, une réanimation, des soins continus, un plateau technique de radiologie, de biologie, de cancérologie, des urgences qui pourront renvoyer le patient à domicile moyennant une télé-surveillance et enfin, des lits d'ambulatoire et un nombre limité de lits d'hospitalisation complète.

Comment amorcer ce virage et, surtout, comment le financer ?

Une première étape serait pour l'hôpital de devenir opérateur de télé-surveillance. En France, depuis 2023, la télésurveillance est remboursée pour le suivi de 4 monopathologies : le diabète, l'insuffisance rénale, cardiaque et respiratoire. De même certaines solutions dites en « nom de marque » inscrites sur la liste des activités de télésurveillance (LATM) permettent aussi le suivi de patients atteints de pathologies cancéreuses. Outre le suivi de ces 5 pathologies, les plateformes d'opérateurs hospitaliers ainsi mises en place permettront aux mêmes équipes de suivre les paramètres de patients dotés de patchs ou d'appareils connectés, favorisant ainsi les sorties rapides d'hospitalisation et réduisant de fait drastiquement les durées moyennes de séjour et donc le nombre de lits nécessaires.

De plus, réduire les programmes de lits hospitaliers, c'est permettre de redéployer les crédits d'investissement de la construction vers le numérique, c'est réduire le coût de fonctionnement des hôpitaux : énergies, maintenance, sécurité, alimentation, blanchisserie... C'est aussi favoriser l'emploi de soignants au bénéfice des malades. En effet, les fermetures de lits dans ce contexte n'ont pas à s'accompagner de la suppression des équipes de soins, comme l'exigent aujourd'hui les programmes d'économies. Les équipes soignantes trouvent aussi ainsi de nouvelles activités : suivi des patients via les plateformes, suivi à domicile, permettant ainsi aux hôpitaux de proposer une offre élargie de postes favorisant la fidélisation des personnels.

Ensuite, il convient pour être efficient que se mette en place une gouvernance de l'innovation, du numérique, de l'IA : affirmer une stratégie, sélectionner des solutions adaptées aux besoins, évaluer les résultats.

Enfin, investir massivement et à bon escient dans le numérique, c'est choisir le pragmatisme et le bon sens : externaliser l'hébergement des données dans un cloud souverain pour limiter les risques cyber, travailler le format des données et l'interopérabilité, retenir des solutions validées.

En conclusion, il appartient à l'hôpital d'assurer sa transformation digitale et de se saisir des nouveaux outils avec volontarisme et pragmatisme, faute de quoi d'autres acteurs prendront la place : le processus est déjà lancé !

 
Au sommaireN°203
Juillet 2025

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