Le Ségur et l’égalité. Qui trop embrasse mal étreint
Hugo-Bernard POUILLAUDE
Professeur des universités en droit public
Directeur du Master Droit de la santé de l'UPEC
Avocat associé - Aerige avocats
Certes l'égalité est une notion « exigeante, mais également contradictoire »[1] pour laquelle l'on pensait toutefois que, derrière l' « intuition énigmatique et insaisissable », perçait désormais « une règle de droit positif parfaitement opératoire »[2], notamment à la faveur du développement des questions prioritaires de constitutionnalité.
Le Ségur en donne un contre-exemple saisissant et illustre, sinon la force de notre grand principe juridique, à tout le moins la vitalité de nos proverbes anciens. Qui trop embrasse mal étreint...
Pour le comprendre, il convient de distinguer deux cas, celui de la fonction publique hospitalière et celui du secteur privé non lucratif, puis de les articuler entre eux.
Dans le premier, il s'agissait de déterminer si le versement du complément de traitement indiciaire (CTI) devait concerner tous les métiers de la fonction publique hospitalière. Des baisers, si l'on peut dire, plusieurs en ont reçus, mais pas les agents des filières administrative, technique et ouvrière. L'article 48 de la loi du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021, modifiée par la loi du 16 août 2022, l'excluait, ce que le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution dans une décision laconique. C'est déjà là que l'étreinte s'éreinte.
Dans sa décision du 21 mars 2024[3], le Conseil constitutionnel a jugé qu' « en étendant le bénéfice du complément de traitement indiciaire aux seuls agents publics (...) exerçant certaines fonctions paramédicales, sociales et éducatives, le législateur a entendu renforcer l'attractivité de ces fonctions (...) [ces] agents publics [n'étant] pas placés dans la même situation que ceux exerçant d'autres fonctions, notamment administratives, techniques ou ouvrières (...) le législateur a pu réserver le bénéfice du complément de traitement indiciaire aux seuls agents publics visés par les dispositions contestées ... ». Le Conseil d'État en a tiré les conséquences dans une décision du 17 juillet 2024[4], par laquelle il rejette le recours dirigé contre le refus d'extension du bénéfice du Ségur à ces personnels en considérant qu' « en excluant du bénéfice du complément de traitement indiciaire les agents des filières administrative, technique, ouvrière (...) le pouvoir réglementaire s'est borné à faire application des dispositions de l'article 48 de la loi du 14 décembre 2020 », jugées conformes à la Constitution.
C'est peu dire du contenu du principe d'égalité entre les agents qui, dans les déclarations, étaient aimés identiquement pour indispensables qu'ils sont chacun au service public hospitalier. Cela l'est d'autant plus que le secteur privé non lucratif devra, lui, le verser à presque tous ses personnels administratifs et techniques en application de l'accord « bas salaires » agréé du 4 juin 2024 relatif à l'extension du Ségur, sous réserve de la mise en oeuvre concrète de ce financement par les tarificateurs, les conseils départementaux ayant déjà exprimé leurs inquiétudes sur le sujet.[5]
Les fonctionnaires administratifs, techniques et ouvriers en seront d'autant plus marris, qu'ils sont si mal aimés.
Notes :
[1] Le Doyen Georges Vedel, « L'égalité » in La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ses origines, sa pérennité, La Documentation française, 1990, p. 172.
[2] Ferdinand Mélin-Soucramanien, Le principe d'égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Quelles perspectives pour la question prioritaire de constitutionnalité ?, Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel 2010/3 (N° 29), pages 89 à 100.
[3] DC QPC n° 2023-1084 du 21 mars 2024.
[4] CE 17 juillet 2024, n° 475351.
[5] Bulletin officiel Santé Protection sociale Solidarité N° 14, 28 juin 2024.