La lettre des décideurs économiques et financiers des hôpitaux

PERFORMANCE

Quelles formes de financement pour la RSE ?

 

Témoignages recueillis par

Hélène BARON-BUAL & Pol NOLET,

GRANT THORNTON

L'hôpital a bien compris la dimension de ses responsabilités dans le domaine de la RSE. Fédérations, médecins et directions se mobilisent sur de nombreux projets. Un soutien, financier notamment, lié à des objectifs, pourra donner à cet élan sa pleine dimension.

Zaynab RIET

Déléguée générale de la FHF

Au sein de l'hôpital public, les mobilisations en faveur de la transition écologique se mettent en place et les actions se multiplient. Elles doivent être appuyées, tant au niveau national que régional, par des soutiens financiers et de pilotage, ainsi que des actions d'accompagnement et de formation.

L'hôpital entend agir sur les facteurs où il peut exercer son influence : en matière d'énergie, de déchets, d'effluents, mais aussi en termes d'achats, de numérique, de restauration ou de travaux. L'ensemble de la communauté des professionnels de l'hôpital (médecins, soignants, administratifs, techniciens, ...) est mobilisé ; des groupes de travail spécialisés s'organisent par thématique.

Si l'engagement de l'hôpital est total, sa seule mobilisation ne suffit pas : isolé, l'hôpital n'a que peu de pouvoir d'influence sur les facteurs environnementaux. Plusieurs conditions doivent être réunies.

La première est d'afficher clairement au niveau national les attentes et les ambitions du secteur de la Santé en matière de RSE, à l'instar de celles qui existent pour les secteurs de l'énergie ou du transport... une politique ambitieuse ne peut se réaliser et se piloter qu'au niveau national, c'est notamment le cas pour le traitement des déchets, nécessairement organisé en filières, en mettant en place une vraie économie circulaire. De même, en matière de politique générale d'achats, seules les centrales d'achats groupées au niveau national sont en mesure de faire évoluer les pratiques des fournisseurs.

La deuxième condition est la mise en place, au sein des ARS, de référents spécialisés pour assurer à chaque niveau la déclinaison et le partage des bonnes pratiques, pour être les garants de la politique nationale et accompagner les établissements. L'EHESP propose désormais des formations de managers en la matière. 

La troisième condition - et la plus importante - est le soutien et l'incitation financière (notamment en intégrant des évaluations de qualité et de développement durable comme critères d'attribution des aides) qui ne peuvent être réalisés que par des crédits nationaux. En matière de restauration, un objectif de 50% de produits de qualité et durables et 20% de produits « bio » revient à doubler les dépenses : les hôpitaux n'en ont tout simplement pas les moyens. En matière de mobilité « verte », l'évolution vers une flotte de véhicules plus écologiques représente à ce jour une augmentation de coût significative, que l'hôpital seul ne pourrait supporter. Enfin, comme en matière de prévention, la clé pour mener une transition écologique, c'est une vision pluriannuelle : environnement et prévention sont des domaines où l'on doit envisager les bénéfices des actions au-delà du cadre annuel classique. D'où la nécessité d'une loi de programmation en Santé.

La réussite de la mise en place de la RSE au sein des EPS repose donc non seulement sur l'appropriation des enjeux au niveau des établissements, mais aussi sur une politique nationale de formation, d'accompagnement et de financement. Il existe une étroite corrélation entre environnement et enjeux de santé : donnons-nous les moyens de nos ambitions !

 

Pr. Patrick PESSAUX

CHRU de Strasbourg

Dans le monde de la santé, réduire la RSE au volet purement Social est un leurre. Nous devons nous inscrire dans une démarche de « développement durable » ancrée sur ses 3 piliers : social, économique, et environnemental.

Notre système de santé est en danger. Cette crise sanitaire a révélé ses points faibles, qui se sont accentués au cours des derniers mois. Il est mis en exergue que nous souffrons d'un déficit majeur de professionnels (de tous niveaux et de toutes catégories). Ceux-ci ont perdu sens, confiance, clairvoyance et une partie tente aujourd'hui à s'orienter vers d'autres horizons, extérieurs au monde de la santé, malgré les incitants financiers. Le Ségur a mis essentiellement l'accent sur la revalorisation financière qui est nécessaire : il doit aller plus loin en évoluant vers un projet global de santé publique. Nous devons sortir du « tout financier ».

Il convient de redonner du fondement au travail de nos équipes, car l'hôpital n'est pas une entreprise comme une autre : s'y ajoutent le sens de l'humain, les relations aux malades et aux familles, le rapport à la maladie et à la mort.... La crise a redonné du sens au métier de soignant lors de la première vague. Nous devons recréer cette dynamique. Elle passe par plusieurs conditions.

La première est de redonner à nos personnels l'envie de progresser professionnellement, notamment en leur offrant des passerelles permettant de se hisser vers de nouvelles compétences, d'autres métiers, d'autres horizons. Nous sommes prisonniers d'un contexte de grande pénurie où la formation est à l'arrêt car les personnels disponibles sont rares et mobilisés à l'excès au coeur des services cliniques manquant cruellement de ressources. Dégager du temps est essentiel.

Une deuxième condition tient directement dans l'attitude de l'encadrement. La notion de qualité de vie au travail est essentielle, surtout en période de forte sollicitation. L'une et l'autre ne sont pas incompatibles. Notamment en créant une dynamique de projets motivants, sur lesquels l'adhésion des personnels est forte. Ainsi, le CHU de Strasbourg est pilote dans la recherche d'optimisation de l'aménagement des espaces et des mobilités, de gestion des déchets, de décarbonisation des pratiques où le bien-être du personnel et du patient (repos, accueil) sont pleinement intégrés. De plus, ces projets sont assortis d'un suivi au moyen d'indicateurs de qualité. Ces projets initiés du terrain sont observés avec attention par la Direction. Ils démontrent que l'hôpital a besoin d'agilité et de se réorganiser grâce à des connexions directes, une simplicité et une rapidité de prise de décisions, une fluidité et une gouvernance proche du terrain.

La troisième condition, et non la moindre, est la nécessité de revoir les missions et le mode de financement de l'Hôpital, qui permette aux personnels de s'identifier aux valeurs portées par un changement de financement lié à la qualité, à la pertinence. Les principaux obstacles restent les contraintes économiques qui ont assorti le fonctionnement des établissements au respect d'un carcan purement financier des structures.

Le risque est de revenir « comme avant », de retomber dans les lourdeurs et les travers. D'où la démotivation du personnel.

 

Rodolphe BOURRET

Directeur Général du Centre hospitalier de Valenciennes

La RSE est désormais au coeur de la dynamique de l'hôpital de Valenciennes. La dimension sociale en est le pilier essentiel, l'objectif, l'enjeu permanent. La réussite de ce projet majeur compense largement les coûts qu'il engendre.

La philosophie de l'établissement valenciennois repose sur la mise en place de deux concepts forts : le rapport Brundltand (ONU, 1987) qui pose les bases de la responsabilité humaine en matière de développement durable, et le « Magnet Hospital » (« Hôpital Magnétique »), concept né aux USA dans les années 1980 qui place la reconnaissance et la valorisation du travail infirmier au centre du processus de décision et d'organisation.

Au sein de l'hôpital de Valenciennes, la mise en application de ces principes s'exprime par plusieurs actions à haute visibilité : lutte contre l'exclusion et la discrimination, solidarité, transparence, écoute, décisions élaborées en commun. Un des projets majeurs de ce dialogue social au sein de l'établissement est l'aménagement des horaires selon le profil de salariés, dont les effets bénéfiques se font déjà sentir. Les services les plus en avant dans la mise en place du concept du « Magnet Hospital » enregistrent une augmentation de la prise de responsabilités de chacun, une meilleure entr'aide au sein des équipes, ainsi qu'une diminution des pertes sociales (absentéisme, démissions, ...).

Un appui sur plusieurs piliers

Pour compléter cette approche, l'établissement entend s'appuyer sur plusieurs piliers : la gouvernance, l'environnement, les conditions de travail, les communautés et le développement local.

Ainsi, en termes de gouvernance, la RSE est une démarche fortement structurée, organisée et gérée par un Comité de Pilotage, spécifiquement dédié à cette responsabilité, porté de manière institutionnelle puisque c'est le Président de la CME et le Directeur Général qui en assurent la co-présidence.

Des travaux importants sont réalisés en matière environnementale, notamment par la recherche de la qualité par objectifs, couronnée par l'obtention plusieurs labels (dont l'ISO 14001 pour l'environnement, l'ISO 22000 pour la sécurité alimentaire, ...). Cette démarche globale permet de rentrer dans un processus institutionnel de recherche de la performance.

La notion de communauté s'exprime au niveau du GHT, dont l'hôpital de Valenciennes est l'établissement support. « L'achat responsable » est une priorité majeure fortement intégrée et systématiquement appliquée lors de chaque appel d'offres.

Les travaux amorcés avec les entités territoriales constituent également une nouvelle approche de la RSE à Valenciennes. En y associant ces collectivités, la RSE acquiert une dimension de nature sociale et sociétale, où la population dans son ensemble devient impliquée.

RSE, qualité et coût économique

En termes de coûts, la dépense engendrée par la mise en place de la RSE est une nécessité pour en avoir des retombées (ROI) importantes. On prétend souvent que la qualité coûte cher, ce qui est faux. La non-qualité est en revanche source de dépenses accrues. Ces dépenses sont estimées à près de 20% du budget global d'un établissement. Au sein de l'hôpital de Valenciennes, les constats sont particulièrement éclairants : c'est vrai qu'il y a un coût d'entrée, mais les bilans sont en appel : la qualité engendre des économies sur tous les projets avec un retour sur investissement qualitatif et financier. A titre d'exemple, deux piliers importants de la RSE, la Qualité de Vie au Travail (QVT) et l'organisation ont fait l'objet de nombreuses actions mises en place avec le management décentralisé médicalisé. Le constat est un taux d'absentéisme plus faible que la moyenne nationale, une activité de soins qui a doublé en 10 ans, un établissement excédentaire depuis 8 ans, de nombreux labels décernés à nos services sur la qualité des soins et la prise en charge des patients et de leurs familles.

 

Camille DUMAS

Directeur des affaires financières et du développement durable des Hospices Civils de Lyon

Plusieurs outils de financement pourraient être valablement mobilisés par l'Etat pour accompagner la montée en charge des politiques RSE en établissement de santé, notamment par des incitations financières sur objectifs.

Le développement durable en santé est devenu à la mode dans le milieu hospitalier. Jusqu'à récemment, le concept avait une connotation négative car associé à une contrainte réglementaire non financée, alors même que la contrainte économique pesant sur les hôpitaux invitait à réduire la dépense hospitalière pour assurer la maitrise des dépenses publiques de santé inscrites dans l'ONDAM.

Cette approche assez classique s'illustre notamment par la fixation d'obligations de réduction des consommations énergétiques via le décret tertiaire faisant suite à la loi ELAN et par les nouvelles contraintes liées à la loi EGALIM pesant sur la restauration hospitalière sans aucun plan de financement ni démarche d'accompagnement des établissements, alors que des investissements lourds et coûteux seront nécessaires pour atteindre ces objectifs réglementaires à échéance. Le récent appel à manifestation d'intérêt pour financer des postes de conseillers en transition énergétique et écologique en santé semble bien modeste au regard des enjeux financiers, sachant qu'il est demandé aux établissements d'autofinancer sous quatre ans la pérennisation de ces emplois sur les économies qui auraient vocation à être générées par les actions à mettre en place.

La récente réémergence du concept de « ONE HEALTH » au décours de la pandémie COVID-19 a fait ressurgir les enjeux des liens entre la santé et l'environnement. Dans la suite du Ségur de la santé, le développement durable a été introduit dans les objectifs stratégiques des projets d'établissement via la loi RIST et dans les critères d'appréciation des projets immobiliers hospitaliers dans le cadre des travaux du conseil scientifique pour les dix prochaines années. Certains établissements de santé ont choisi de se saisir de la dimension positive du concept et de capitaliser sur l'engagement d'une démarche volontariste de responsabilité sociétale d'entreprise (RSE) : cette nouvelle approche de type « based-value system » vise à engager des actions exemplaires sur les piliers économiques, sociaux, environnementaux et à promouvoir une bonne gouvernance en associant les parties prenantes et la démarche éthique dans les pratiques. C'est ainsi qu'émergent de nouvelles actions sur les « mobilités durables », sur les « hôpitaux magnétiques », et des réflexions plus poussées sur les « green » blocs et data center par exemple, impliquant des engagements financiers sur fonds propres de la part des établissements.

Pour autant, force est de constater que le financement du développement durable à l'hôpital reste peu lisible et bien en deçà des ambitions affichées. Ainsi, les guichets des aides du plan France Relance sur le pilier de la transition écologique ne semblent pas être ouverts aux hôpitaux. De même, la part consacrée au développement durable semble rester marginale dans le cadre des enveloppes destinées aux investissements du quotidien et dans les projets immobiliers soutenus par les crédits du Ségur. Les programmes d'émission obligataire sur critères extra-financiers engagés dans le monde hospitalier sont rarement portés sur des « green bonds » et encore moins sur des « sustainability bonds » ; seuls les « social bonds » semblent être retenus comme supports de financement des projets hospitaliers et les critères choisis pour l'évaluation visent assez classiquement les seuls objectifs de couverture de besoins de santé dans les territoires.

Le reporting extra-financier et la valorisation économique des impacts sociaux et environnementaux qu'exige la nouvelle taxinomie européenne restent des pratiques embryonnaires voire inexistantes à l'hôpital tant et si bien que ni le bilan carbone hospitalier (externalité négative) ni la création de valeur économique (externalité positive) des hôpitaux français ne sont réellement connus et documentés, ce qui ne facilite pas la mobilisation collective des parties prenantes (patients, professionnels, fournisseurs, gestionnaires, administrateurs, investisseurs) en l'absence d'intérêt à agir clairement lisible.

Au final, la RSE à l'hôpital renvoie au débat sans fin du sens de la notion de développement durable : l'argent étant le nerf de la guerre, s'agit-il d'un concept fonctionnel intégrateur au sens économique classique du terme de la ré-internalisation des externalités, ou d'un concept de combat entre des mondes qui s'affrontent et se confrontent, au prix d'un incompatibilité « essentialiste » (ce qui compte vraiment ne se compterait donc pas) ? Il y a tout à perdre à opposer les 3 piliers en posant le primat de l'un sur l'autre en présentant le développement durable comme une injonction paradoxale entre l'éthique de la santé (la santé a un coût) et la performance économique (la santé a un prix).

La promotion des démarches de responsabilité sociétale d'entreprise en santé vise tout au contraire à réinterroger la « raison d'être » d'un hôpital, a fortiori l'hôpital public, et à redéfinir la responsabilité qu'il entretient dans son ancrage socio-économique sur le territoire qu'il couvre et dans les finalités qu'il doit accomplir au service de la population qu'il dessert. Cette notion invite à engager de sa propre initiative une transformation profonde de ses modes d'action et de ses objectifs en faisant la part des choses entre « ce qui dépend de nous » et « ce qui ne dépend pas de nous ». 

Les hôpitaux peuvent activer différents leviers économiques dans leur propre gestion au service d'un objectif de performance globale et durable qui ne se limite pas à la seule réduction des coûts de fonctionnement à court terme : la politique RH (investissement dans le capital humain et QVCT), la politique achat éco-responsable, les schémas directeurs immobiliers, la démarche qualité, les stratégies d'innovations organisationnelles et technologiques « low tech », sont autant d'outils qui peuvent être mis au service d'une ambition visant à atteindre des objectifs de performance économique, sociale et environnementale. Cela implique des choix de gestion et notamment celui de reconvertir les gains de productivité liés aux évolutions tendancielles et aux ajustements frictionnels en crédits d'amorçage pour les démarches de « qualité totale » dont le retour sur investissement s'apprécie sur le temps long alors même que les surcoûts cachés de la non-qualité et des externalités ne sont pas (à tort) monétisés, ce qui doit conduire à raisonner en coût global.

Au-delà de l'effort financier qui doit être plus marqué dans l'ONDAM et dans les enveloppes du Ségur au service du développement durable en santé, plusieurs outils de financement pourraient être valablement mobilisés par l'Etat de façon systémique pour accompagner la montée en charge des politiques RSE en établissement de santé par des incitations financières sur objectifs : renforcer le dispositif IFAQ sur la base d'un score pondéré global RSE évalué chaque année par une agence de notation indépendante ; assujettir les subventions publiques d'investissement en santé à des critères d'éco-conditionnalité ; compléter les contrats d'emprunt souscrits par les hôpitaux par des engagements sur des critères de type « ESG » ; enrichir le rapport annuel de gestion des hôpitaux d'un reporting extra-financier sur leur performance sociale et environnementale et d'une taxinomie budgétaire de leurs activités à impact...

Camille DUMAS

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